Il est extrêmement fréquent d’entendre des victimes “demander réparation” au point que cette expression est devenue commune.

Evidemment, pour moi qui suis spécialiste en Droit du dommage corporel, il est rare qu’une journée ne s’écoule sans qu’il y soit fait mention de ce fameux droit à réparation. Mais de quelle réparation s’agit-il au juste ?

Car il faut bien avouer que l’exercice n’est pas aisé. En effet il appartient à la victime de prouver, pièces médicales particulièrement étayées à l’appui, qu’elle subit bien un préjudice corporel ou psychique. C’est là une étape beaucoup plus rude et violente qu’il n’y paraît car c’est souvent pour elle une nouvelle plongée dans les eaux saumâtres du traumatisme.

Une fois le préjudice démontré, on peut alors le liquider en indemnisation, c’est à dire en argent sonnant et trébuchant. Mais est-ce-que tout s’indemnise vraiment ?

Il y a deux ans, j’ai accompagné Diane dans ce combat. Je parle de combat à dessein car chaque étape du dossier a été une guerre contre la souffrance physique, contre les atteintes psychologiques. Une épreuve contre les souvenirs.

En vacance en Mauritanie, Diane avait miraculeusement survécu à une prise d’otage au cours de laquelle son petit-ami François, sa meilleure amie Céline et six autres touristes français avaient trouvé la mort.

Son récit était terrible ; glaçant. Alors que leur groupe avait été attaqué et retenu captif un après-midi durant par des terroristes, les militaires locaux dépêchés sur place avaient échoué dans les négociations et les ravisseurs avaient exécutés leur sombre projet… Mais je crois que le summum de l’horreur était que Diane avait eu la vie sauve en simulant sa propre mort, coincée sous le corps déchiqueté de son compagnon.

Grièvement blessée par balle, elle avait été rapatriée en France en état de choc. Sa mère qui a fait appel à moi m’a confié que pendant deux semaines, Diane ne cessait de psalmodier “C’est de ma faute, c’est de ma faute”, persuadée que son compagnon était mort pour la protéger et qu’elle ne devait son salut qu’à la disparition de ses proches… Dans un tel contexte, vous imaginez combien il devient compliqué d’expliquer à la victime qu’il va falloir prouver qu’elle souffre pour obtenir réparations.

Même si je veille toujours à faciliter au maximum ce processus et que j’accompagne les victimes dans toutes ces batailles contre de véritables humiliations, je crains hélas que l’on ne puisse jamais réparer l’irréparable.

A la clôture du dossier, Diane s’est effondrée en larme dans mon cabinet. Cela faisait 6 ans que le pire était arrivé pour elle. Son constat était saisissant de lucidité : “Mais Maître, quoi que vous fassiez pour moi, et je vous en remercie, ce que je ressens, cette souffrance, cette peine perpetuelle, c’est ma condamnation à vie…ma condamnation à vie »