Avec le temps va, avec le temps va tout s’en va…Mais pas les douloureux souvenirs

Ceux-là ne s’effacent jamais. Et loin de les reléguer, la mémoire au contraire les convoque si souvent qu’ils deviennent indélébiles. 

L’histoire de François est aussi douloureuse que troublante. Il me consulte à l’âge de 37 ans. Sa mère vient de mourir et il a besoin de se libérer d’un poids terrible. 

Il me confie qu’à 9 ans, dans son petit village natal de la Sarthe,  il a été victime d’actes de pédophilie. Il ne l’a jamais dit à personne. Son récit me glace. 

Ce jour-là il rentrait de l’école mais il avait oublié sa clé. Il avait eu l’idée de se rendre dans la boulangerie voisine. La boulangère connaissait bien sa famille et il lui était déjà arrivé d’attendre là-bas que sa mère rentre du travail. Lorsqu’elle l’aperçoit, la commerçante téléphone immédiatement à sa maman. Celle-ci a du retard et lui demande de l’attendre dans la boulangerie. Ce sera derrière le fournil dans une pièce de repos qu’il patientera. 

Le mari de la boulangère est absent mais le couple a un nouvel apprenti qui a pris sa pause. Malheureusement le jeune homme s’avère peu recommandable. Il va mettre à profit la situation pour abuser sexuellement du petit garçon qui ne comprend pas ce qui lui arrive. Lorsque sa mère le récupère, François est muré dans son mutisme. Souffrant dans sa chair, il ne laisse rien transparaître. Sa mère est un peu surprise mais elle se laisse convaincre par les explications du petit garçon qui invoque une dispute avec un des ses camarades. 

François ne parlera jamais de ce qu’il lui est arrivé cet après-midi là. Au départ par peur des représailles de l’apprenti de la boulangère qui l’avait menacé de mort au cas où il révélerait ses crimes. Puis par honte aussi. La honte malheureusement classique de la victime qui s’en veut de n’avoir rien fait, qui s’en veut de n’avoir pas crié et finalement d’avoir participé à la commission de l’acte…Et enfin à mesure que le temps passait et qu’il prenait conscience de la gravité des faits, par peur surtout que sa maman qui avait tardé à venir le chercher ne culpabilise et ne souffre encore plus que lui de ce terrible événement. 

C’est pourquoi François venait me trouver 30 ans plus tard. Sa mère venait de décéder. Il n’y aurait donc pas de victimes innocentes collatérales à ses révélations. Il était désormais prêt à faire éclater la vérité et à demander justice. 

En ce qui concerne les crimes sexuels, le délai de prescription est porté à 30 ans à partir de la majorité de la victime. Il était donc encore possible de porter l’affaire devant les tribunaux. 

Avec l’aide de la boulangère, les policiers chargés de l’enquête sont parvenus à retrouver son ancien apprenti, un dénommé William qui avait fait du chemin.  Il dirigeait sa propre boulangerie dans le sud de la France. Désormais marié et père de deux enfants, il était apprécié du voisinage, de ses clients et occupait même une place de choix au sein du conseil municipal. 

Mais l’enquête a peu à peu écorné l’image de ce voisin idéal. Il y avait déjà eu une première affaire assez similaire il y a 10 ans  qui s’était soldée par un non-lieu pour défaut de preuves car la partie civile était mal organisée et friable. 

Mais les récentes révélations de François ont déclenché une petite tornade dans la région. L’affaire s’ébruitant, les langues se sont déliées et deux autres témoignages sont venus s’ajouter à celui de mon client. 

Dans les récits des victimes, des similitudes sur les pratiques, le modus operandi et les menaces de William ne laissaient que peu de place au doute. Face à cette avalanche d’accusations et surtout aux détails concordants donnés par les victimes, William a été condamné.  Il n’a jamais avoué. Ce qui est très fréquent chez les pédophiles, il faut bien le dire. 

Avec le temps donc, les souffrances de François ne s’étaient pas effacées. Il les avait enfouies en lui pour protéger sa mère jusqu’au bout et s’était libéré à sa mort. La réparation a été salutaire.

Mais ne nous méprenons pas. Du fait de la déperdition des éléments de preuve à charge. La plainte de François aurait pu subir le même sort que celle du plaignant précédent. 

Car avec le temps aussi, souvent la preuve s’évanouit. 

 

Être avocat c’est combattre aux côtés de ses clients. Ce combat est parfois âpre, violent, injuste mais nécessaire. 

Lorsque je rencontre Freddy, c’est d’abord sa carrure qui me frappe. Un bloc de muscles, aux poings d’acier, se tient dans l’embrasure de la porte de mon cabinet. Son visage ne m’est pas complètement inconnu. En effet, Freddy est un jeune espoir de la boxe professionnelle dont les prouesses sportives font du bruit. 

Mais sa démarche claudiquante m’indique qu’il n’est plus vraiment en état de se battre. Il me raconte alors ses derniers mois éprouvants. Dans un récit assez désordonné, tout s’entremêle ; le monde de la boxe pro avec ses bookmakers, ses paris louches, ses exploits, les mauvaises fréquentations, les rancoeurs de certains poulains de l’écurie de son promoteur…Je comprends que tout le monde n’a pas vu son succès d’un très bon oeil. 

Au point qu’un soir en rentrant d’un entraînement, Freddy est pris à partie par des hommes armés de barres de fer. Ses capacités sportives ne peuvent pas grand chose face au nombre et à la détermination de ses assaillants et il plie sous les coups. Il ne doit son salut qu’au passage d’un équipage de la BAC qui met en fuite les agresseurs sans toutefois parvenir à les interpeller. 

Mais si Freddy en réchappe, il est gravement touché aux jambes. La violence des coups a eu raison de ses genoux et les spécialistes consultés sont tous formels : il pourra remarcher mais plus jamais boxer à haut niveau. Le voilà jeune espoir de la boxe mais sur le carreau. Au chômage technique, il ronge son frein partagé entre des vagues de tristesse insurmontables et une colère terrible. 

Lui qui commençait à bien gagner sa vie avec le sport se retrouve sans revenus et sans perspectives. 

Commence alors un autre combat pour notre champion. Celui de la réparation de ses préjudices par la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions. 

Comme dans la boxe, il y a plusieurs rounds et tant que la cloche n’a pas sonné, il faut continuer à se battre. 

Je dois ici le dire : c’est un combat terrible car il faut tout prouver, tout étayer, même les évidences. Et croyez-moi le fond de garanti n’est pas là pour faire des cadeaux. Je ne crains pas de le dire. Dans ces cas-là, le rôle d’un avocat est celui d’un militant. C’est une guérilla. Il ne faut rien laisser passer. Rendre coup pour coup.

A ce jeu du pot de terre contre le pot de fer, Freddy avait besoin d’aide. On ne peut pas être un grand combattant sur tous les fronts. Il était désarmé, impuissant et au bord de la rupture.  

C’est là que l’avocat doit descendre dans l’arène : Il faut tout compiler ; les expertises médicales, les justificatifs, tout les éléments qui font que l’indemnisation est légitime et intégrale. C’est une tâche technique et une épreuve d’endurance. Patience, pugnacité, stratégie, inventivité…telles doivent être les qualités d’un bon avocat en droit du dommage corporel pour apporter une véritable valeur ajoutée.

Comme dans un combat, dans un dossier d’indemnisation, le mental est essentiel si au dernier round, on veut gagner. 

6 ans après, Freddy a touché des sommes qu’il n’aurait jamais pensé obtenir. Des sommes venant réparer ses nombreux préjudices à vie.

Tout au long de ce combat Freddy ne cessait de me dire : “En fait, vous aussi vous êtes un boxeur Maître, vous ne devez rien lâcher”. La remarque m’a ému. Mais j’avoue qu’il est vrai que dans son métier, un avocat enfile souvent les gants. Et quand il faut se battre, les miens ne sont pas de velours.

 

Parfois, on n’a pas grand chose à gagner à engager un procès. Pas grand chose si ce n’est la maigre satisfaction d’avoir gagné. Mais gagné quoi ? 

 

Le cas de Ludivine est assez symptomatique. Cadre dans la banque elle tombe amoureuse de Nabil. Ensemble ils auront deux enfants. 

 

Nabil a beaucoup d’ambition et il se lance dans des aventures entrepreneuriales qui malheureusement ne seront pas vraiment couronnées de succès. 

Ludivine voit tout cela avec les yeux de l’amour et elle éponge les dettes allant même jusqu’à fermer les yeux sur certaines incartades nocturnes de son mari. 

 

Mais un soir, c’est l’humiliation de trop. Après un énième découchage, Ludivine décide de demander le divorce. Nous obtenons d’abord qu’elle obtienne que la résidence des enfants soit fixée chez elle, alors que Nabil fait l’impossible pour qu’elle en soit privée. 

 

Dès le prononcé du divorce, il va engager une campagne de dénigrement contre elle sans pour autant pouvoir contribuer ne serait-ce qu’à l’éducation et l’entretien des enfants. Il ne travaille plus. Il est furieux de ne plus être entretenu. 

 

Mais à la faveur d’une disputes des enfants avec la mère, l’affaire va prendre une tournure très inattendue. Les deux enfants vont fuguer du domicile de Ludivine pour prendre fait et cause pour Nabil.

 

Ces derniers décidés à aller habiter chez leur père vont le pousser à saisir le juge aux affaires familiales qui va ordonner leur changement de résidence contre toute attente.

Les premiers jours c’est une Ludivine absolument effondrée que je vais accueillir à mon cabinet. Elle vit légitimement cette situation terrible comme une injustice incroyable  parfaitement inconcevable pour elle. La logique aurait voulu qu’elle fasse appel. Mais je l’en ai dissuadé. Elle était harassée de fatigue et manifestement en difficulté avec les deux adolescents au quotidien. 

 

Et puis avec la dislocation de sa petite famille, c’est aussi une importante charge mentale et financière qui s’est évaporée. Ludivine a repris en main sa vie de femme ;  ses cours de tennis, ses leçons de violoncelle, sa carrière qu’elle avait laissé totalement   au point mort. 

 

La victoire à tout prix aurait été un désastre. En perdant la garde des enfants, Ludivine a gagné avec eux une relation de qualité et un nouveau départ inespéré dans sa vie. 

 

Parfois il faut accepter de se désintoxiquer de notre culture de la victoire pour gagner alors qu’on croyait perdre. 

 

En tant qu’avocats spécialistes en dommage corporel, nous nous battons avec mes confrères depuis longtemps pour que les indemnisations des victimes soient individualisées et que soit maintenu le principe de la réparation intégrale et non forfaitaire.

Pour parler franchement le système de la barémisation est une lecture froide et inadaptée contre laquelle nous œuvrons en lui donnant un relief, une couleur : celle de l’humain. 

Il faut bien comprendre que deux victimes ayant subi les mêmes faits ne les vivront pas de la même manière et n’auront pas les mêmes séquelles. 

Rappelons tout d’abord que tout notre système pénal oriente les projecteurs sur les auteurs d’infractions et de crimes et leur défense. Les victimes ont juste des droits, encore heureux !  

J’ai assisté il y a trois ans ans Mathias et Gianni, deux employés de bijouterie victimes d’un braquage qui avait mal tourné. Mathias avait été molesté mais avait été relâché rapidement par les malfaiteurs. Gianni quant à lui, avait été retenu en otage jusqu’à l’intervention des forces de police et avait été atteint de deux balles dans le thorax. Il en avait réchappé miraculeusement. 

Familier de ce type de dossiers, je sais que la bataille se situe au niveau des expertises et qu’il faut préparer minutieusement les pièces nécessaires en se faisant aider par des techniciens spécialistes.  

Mais il faut prendre garde de ne pas s’en tenir qu’aux évidences. Mon travail est de mettre en lumière tout ce qu’une victime a perdu, qu’elle ne retrouvera plus même lorsque cela ne saute pas aux yeux. Dans le cas de  Mathias, qui avait été libéré le premier son préjudice semblait en apparence largement moins lourd que celui de son collègue touché par balles.  Et pourtant…Il était ressorti de cet assaut  traumatisé, incapable de reprendre une vie normale, sombrant dans la dépression et l’alcool. Là où, a contrario Gianni s’accrochait davantage et « tenait le coup » malgré une atteinte physique autrement plus important et de fait avait repris une activité professionnelle avant son collègue.

Nous avons tous nos vécus, nos traumatismes, nos constructions. Les événements que nous vivons et subissons n’arrivent pas sur des corps et des esprits vierges. Nous avons tous une “capacité d’absorption” des événements qui opère à des degrés différents. 

Cela justifie derechef à être vent debout contre la tendance institutionnelle actuelle en faveur de la barémisation par pure facilité car elle ne tient pas compte de la réalité des séquelles des traumatismes subis et gomme plus généralement nos différences. On cherche bien à comprendre à grand prix les ressorts personnels de l’individu lorsqu’il s’agit de juger les auteurs non ? Et c’est bien normal ! Je milite simplement pour que cette individualisation profite aussi aux victimes…

L’atteinte psychique du premier s’est avérée plus lourde que l’atteinte physique du second. 

Dans plusieurs pays d’Europe ces subtilités ne sont hélas plus possibles mais  notre Droit français nous permet encore d’individualiser les indemnisations…mais pour combien de temps encore… Espérons que les victimes ne deviennent pas aussi victimes de leur réparation. 

 

 

Dans cette chronique, je regrette que les juges maintiennent parfois des mesures de garde alternée même en cas de mauvaise relations entre les parents. C’est la résidence sur Courant alterné :

 

 

Lorsque le temps est venu pour les parents de se séparer, les enfants sont toujours au coeur des débats. Et c’est bien normal ; Ils ont tout comme la la justice à le devoir de prendre en compte leur bien-être et ce de façon prioritaire. 

Rappelons tout d’abord que dans la majorité des cas, la résidence des enfants est fixée chez la mère. Laissez-moi vous dire que pour qu’on la lui retire ce n’est pas une formalité. 

Je reçois fréquemment des hommes qui bataillent et même durement pour avoir une garde alternée voire de simples droits de visite et d’hébergement élargis. 

Il est d’ailleurs souvent question  de “concession” de la mère lorsqu’une garde alternée a été volontairement mise en place par les parents. C’est dire combien le fait que l’éducation  des enfants soit dévolue à la mère est gravée dans le marbre. 

La résidence alternée est une solution a priori séduisante permettant aux parents de se partager l’éducation des enfants et à ceux-ci de continuer à vivre une relation équivalente avec chacun d’entre eux.

Mais évidemment sa mise en place suppose un certain nombre de conditions. Une bonne entente entre les deux parents s’imposait il y a encore peu de temps comme LA condition sine qua non de ce mode de garde. Depuis quelques années, je note toutefois une terrible régression à ce sujet : il arrive très (trop) fréquemment que des couples dont les relations sont à couteaux tirés soient autorisés en justice à entamer ou maintenir une résidence alternée. 

je déplore cette solution de facilité. Ces enfants ballotés en dysharmonie dans des univers antagonistes souffrent terriblement. 

Le même système de précaution doit présider au maintien des résidences alternées en place. 

Cela me rappelle le cas de Victoire et de Stéphane. 

Les deux parents étaient d’accord au moment du divorce pour qu’une résidence alterné soit mise en place dans une logique constructive. Ils habitaient à proximité, ne voulaient pas bouleverser davantage la vie de leur enfant. Et puis les conditions se sont dégradées. Monsieur a refait sa vie avec une femme plus jeune, ce que son ex femme n’a pas supporté. L’ego a fait une entrée fracassante dans l’équation et tout s’est retrouvé compromis. Les relations se sont tendues et Victoire est entrée dans une logique de vengeance, ce processus de triangulation malheureusement bien connu, où l’enfant se retrouve en conflit de loyauté au coeur des dissensions. Victoire était persuadée d’avoir la mainmise et d’abattre son ex mari en le privant de sa relation avec son fils.
Ma stratégie a été de démontrer au juge qu’en réalité, rien n’avait changé, si ce n’est bien sûr les états d’âme de Madame. 

Car il faut bien rappeler que les juges conformément à la loi maintiennent prioritairement les mesures mises en place par les parents. La stabilité de l’enfant prime à raison.Je suis toujours très clair : ce qui est mis en place va être très difficile à remettre en question. S’il n’y  pas d’éléments nouveaux (déménagement, subite perte de revenus, volonté de l’enfant de moins voir un des parents) la garde alternée sera maintenue. 

 

L’usage prime et chaque jour passé dans une situation aussi inextricable soit-elle rend cette dernière vivable au yeux du juge et de la loi. Qu’il soit continu ou alternatif, le courant devra passer vaille que vaille.

Si le silence est d’or, croyez-moi, la parole, en justice, est de diamant ! 

Je déplore que nos institutions judiciaires modernes aient retiré à la parole la si belle place qu’elles lui avaient donné…et qui ne devient plus qu’un lointain souvenir. 

Je repense à Karine et à son divorce ô combien houleux. La question de l’argent était particulièrement au coeur de son dossier. Il faut dire que Charles, son mari, entretenait de manière dissimulée un commerce parallèle d’instruments de musique de collection très lucratif. Le bougre n’acceptait que les espèces qu’il ne déclarait évidemment pas. Ces rentrées régulières d’argent occultes doublaient allègrement son salaire. 

Lors des négociations confidentielles entre avocats sur la prestation compensatoire pour ma cliente, le débat s’est évidemment posé là. Ne pas tenir compte de ces rentrées d’argent était exclu pour nous. 

Mais Charles d’un naturel méticuleux avait trop bien accordé ses violons ! le diable tenait un livre comptable de l’ensemble des sommes en liquide encaissées depuis plusieurs années. L’objet du délit était tombé fort opportunément dans les mains de Karine. C’était trop beau, voire inespéré pour un avocat comme moi. Charles ne voulait rien entendre croyant à un coup de bluff de notre part. C’est in extremis et non sans scrupules que nous avons décidé d’abattre la carte maîtresse à la veille de la clôture. A l’audience des plaidoiries, nous avons frôlé le drame. Charles fulminait, l’atmosphère était électrique et Karine n’en menait pas large. J’ai cru un instant à l’imminence d’un pugilat. 

Il y avait trop de rancoeur, trop de non-dits dans cette affaire. Lorsqu’on ne communique pas, y compris entre avocats, tout peut exploser. Au sortir de l’audience, Charles a tenté de venir au contact avec moi. J’ai compris entre deux invectives que jamais personne ne lui avait donné la parole et j’ai entrevu une ouverture. 

Alors que l’affaire était mise en délibéré, j’ai suggéré une réouverture des débats. Nous avons organisé une réunion à quatre et assez vite un espace de discussion s’est créé. Paradoxalement l’argent n’était plus au coeur de l’affaire. Il y avait une dimension “règlement de compte personnelle”, pas mal de sacs à vider… Les deux parties ont pu se libérer dans un espace sécurisé et propice au dialogue. La guérilla du départ a laissé place à un accord, certes à couteaux tirés, mais un accord quand même. 

En sortant de la nouvelle audience des plaidoiries où nous avons fait homologuer l’accord, le juge, qui avait manifestement un goût  pour les lettres classiques m’a confié, un sourire aux lèvres : “Vous aviez raison Maître. Comme le disait le dramaturge Eschyle, “La parole apaise la colère””. 

Au delà de l’issue positive de cette affaire en particulier, c’est une démonstration parlante, sans mauvais jeux de mots,  de l’intérêt du recours au méthodes collaboratives que j’appelle de mes voeux. Puisse-t-il, ce cher Eschyle, faire des émules ! 

Le genre est un sujet de plus en plus porteur. Ce qui relève du féminin et du masculin fait désormais l’objet d’un débat sociétal souvent acharné ou les points de vue les plus antagonistes s’affrontent autour de ce qui relève de l’homme ou de la femme.

Je ne peux m’empêcher lorsque ce sujet fait irruption dans l’actualité de repenser à l’affaire de Jacques et Mylène. Une affaire terrible puisqu’elle s’est soldée par l’assassinat de la femme par le mari. Mais une affaire révélatrice de tout ce que les différences de genre peuvent produire.

Ce meurtre est intervenu après une bataille de plusieurs années autour de la garde des enfants. Alors que Mylène avait obtenu la garde, Jacques, par ailleurs pratiquant le tir sportif et détenteur d’une arme de poing l’a abattue froidement, vidant méthodiquement le chargeur de son 9 mm sur le corps de la malheureuse.

Lui incarnait l’homme dans toute sa virilité ; elle, sublimait la femme dans toute sa grâce. Lors de l’affrontement autour de la garde des enfants, cette dimension très genrée a perduré jusqu’à l’extrême. Elle a cherché à l’atteindre en tant qu’homme en alleguant une sombre affaire d’attouchements sur les enfants. De son côté, il l’a perpétuellement attaquée sur ses prétendues carences maternelles.

Après que le pire se soit produit, c’est Françoise, la mère de Mylène qui m’a demandé de l’assister jusqu’au procès devant la cour d’assises. Lorsque elle a été appelé à la barre et que le père de Jacques a eu à témoigner à son tour, j’ai été comme frappé par l’évidence qui s’imposait à moi : Le couple de Jacques de Mylène s’est effacé derrière un nouvel antagonisme. Celui de la génération des parents.

Mais au delà des témoignages, du reste relativement concordants c’est surtout la symétrie des ascendances qui était frappante : Le père de Jacques était un chirurgien charismatique à la stature imposante qui avait élevé quasiment seul son fils. La mère de Mylène était évidemment tout l’opposé. Une institutrice de province d’une rare élégance et un brin fantasque.

Tout dans cette affaire relevait de l’exacerbation du genre, sur scène comme en coulisses…au passé comme au présent.

Le genre s’invite souvent dans mes dossiers où je lui réserve le meilleur accueil. Loin des nécessités des apparences, dans le secret de mon cabinet, les émotions ont toute leur place. Je dois avouer que les stéréotypes ont la vie dure. Les demandes des hommes ne sont pas les mêmes que celles des femmes, leurs attentes non plus et ceux qui fondent en larmes ne sont pas toujours ceux auquel on pense.

Mais sortirons-nous un jour de la bataille des genres ?

 

Philippe Assor

Il est extrêmement fréquent d’entendre des victimes “demander réparation” au point que cette expression est devenue commune.

Evidemment, pour moi qui suis spécialiste en Droit du dommage corporel, il est rare qu’une journée ne s’écoule sans qu’il y soit fait mention de ce fameux droit à réparation. Mais de quelle réparation s’agit-il au juste ?

Car il faut bien avouer que l’exercice n’est pas aisé. En effet il appartient à la victime de prouver, pièces médicales particulièrement étayées à l’appui, qu’elle subit bien un préjudice corporel ou psychique. C’est là une étape beaucoup plus rude et violente qu’il n’y paraît car c’est souvent pour elle une nouvelle plongée dans les eaux saumâtres du traumatisme.

Une fois le préjudice démontré, on peut alors le liquider en indemnisation, c’est à dire en argent sonnant et trébuchant. Mais est-ce-que tout s’indemnise vraiment ?

Il y a deux ans, j’ai accompagné Diane dans ce combat. Je parle de combat à dessein car chaque étape du dossier a été une guerre contre la souffrance physique, contre les atteintes psychologiques. Une épreuve contre les souvenirs.

En vacance en Mauritanie, Diane avait miraculeusement survécu à une prise d’otage au cours de laquelle son petit-ami François, sa meilleure amie Céline et six autres touristes français avaient trouvé la mort.

Son récit était terrible ; glaçant. Alors que leur groupe avait été attaqué et retenu captif un après-midi durant par des terroristes, les militaires locaux dépêchés sur place avaient échoué dans les négociations et les ravisseurs avaient exécutés leur sombre projet… Mais je crois que le summum de l’horreur était que Diane avait eu la vie sauve en simulant sa propre mort, coincée sous le corps déchiqueté de son compagnon.

Grièvement blessée par balle, elle avait été rapatriée en France en état de choc. Sa mère qui a fait appel à moi m’a confié que pendant deux semaines, Diane ne cessait de psalmodier “C’est de ma faute, c’est de ma faute”, persuadée que son compagnon était mort pour la protéger et qu’elle ne devait son salut qu’à la disparition de ses proches… Dans un tel contexte, vous imaginez combien il devient compliqué d’expliquer à la victime qu’il va falloir prouver qu’elle souffre pour obtenir réparations.

Même si je veille toujours à faciliter au maximum ce processus et que j’accompagne les victimes dans toutes ces batailles contre de véritables humiliations, je crains hélas que l’on ne puisse jamais réparer l’irréparable.

A la clôture du dossier, Diane s’est effondrée en larme dans mon cabinet. Cela faisait 6 ans que le pire était arrivé pour elle. Son constat était saisissant de lucidité : “Mais Maître, quoi que vous fassiez pour moi, et je vous en remercie, ce que je ressens, cette souffrance, cette peine perpetuelle, c’est ma condamnation à vie…ma condamnation à vie »

Il faut croire que les gens ont confiance dans la justice de leurs pays…

Il n’est pas un client qui ne m’ait dit : « Mais Maître, le juge va comprendre ma situation ? Il ne peut qu’abonder dans mon sens ! »

Naïve confiance aussi aveugle que bien souvent déçue…

L’institution judiciaire n’est jamais qu’un service public comme un autre, voire pire qu’un autre !

Car c’est avant tout un service administratif au fonctionnement long, complexe et submergé par les demandes.

Les juges font leur métier par vocation à n’en pas douter mais ils ne peuvent le faire qu’avec les moyens qu’on leur donne…C’est à dire pas grand chose.. Ce qui explique d’ailleurs notre triste classement parmi les derniers pays d’Europe en matière de justice.

Et pourtant, lorsqu’on est confronté à la justice, c’est l’événement d’une vie. On joue

parfois très gros et on pense par projection que les juges vont consacrer à notre affaire tout le temps qu’elle nécessite.

Malheureusement, le juge n’a que quelques minutes à vous consacrer. Il faut faire vite, parfois au mépris du bon sens et de la plus élémentaire humanité…

Je dois le dire, et je ne suis pas le seul, j’ai régulièrement honte pour mes clients de la justice de mon pays.

Je suis l’avocat d’Olga, une danseuse russe au parcours touchant. Talentueuse étoile du Bolchoï, elle avait dû arrêter son ascension du fait d’un accident de la route qui lui avait laissé de réelles séquelles physiques. Débarquée en France et reconvertie en danseuse de cabaret, elle avait retrouvé sa joie de vivre auprès d’Alain, un dentiste parisien à qui tout réussissait.

Mais lorsque les sentiments se sont dégradés, Alain s’est révélé très dur et particulièrement procédurier.

Olga a commencé à vivre un enfer dans lequel les humiliations étaient monnaie courante. Je l’ai accompagné durant 5 années dans un dossier complexe et semé d’embûches.

Outre les montagnes de pièces et de justificatifs que nous avons dû produire, nous avons dû aussi nous adapter à chaque fois à une partie adverse extrêmement changeante et agressive.

Et le jour tant attendu du procès, Olga n’a même pas pu s’exprimer. On ne lui a pas laissé une seconde pour mettre ses propres mots sur le calvaire qu’elle endurait depuis des années.

A ses questions j’avais bien vu que juge n’avait pas lu le dossier, que j’avais pourtant bien préparé. Tout s’est joué à la hâte. 5 ans tranchés en 5 minutes…

La justice est une broyeuse désincarnée qui donne tout son sens à l’adage « Un

mauvais accord vaut mieux qu’un bon procès ». Tous les mouvements législatifs actuels vont d’ailleurs dans le sens d’une déjudiciarisation des procédures, notamment avec le divorce par consentement mutuel sans juge ou tous les nouveaux modes alternatifs de

règlement des différends où les parties sont au centre de l’accord qu’elles doivent construire avec l’aide de leurs avocats.

La justice quant à elle, n’a pas fini de parler son propre langage ; hermétique, lent et tellement injuste.

 

Philippe Assor

 

Désordre dans les rangs des victimes 

 

Je le répète dès que j’en ai l’occasion : tous les cas sont différents et je déteste par dessus tout l’indifférenciation et la binarisation qui noient les particularismes et les individualités dans une norme immuable que l’on nous somme de prendre pour acquise. 

 

Le statut de victimes et de leurs familles est symptomatique. Disons les choses franchement : il n’y a pas de groupe constitué de famille de victimes. Pour la simple et bonne raison que chaque victime a ses particularismes et sa manière de vivre et d’évoluer par rapport au drame qui la touche. Qu’elle soit victime directe ou indirecte. 

 

Je suis l’avocat d’Irène, mère dévastée par la perte de sa fille Sandrine tombée sous les coups d’Antoine son compagnon, alcoolique et violent. 

Sans rentrer dans les détails de cette affaire tragique, je vais ici tâcher de vous démontrer toute la complexité des relations au sein de la famille de Sandrine. 

Sandrine avait une soeur et un frère, tout deux plus âgés. Marc et Florence. 

Au départ on peut dire que tout le monde parlait d’une seule voix. La peine irréparable, la colère, les questions sans réponses…la guerre avec Antoine, était déclarée et la douleur fédératrice. 

Et puis a surgi la question de l’avenir de l’unique fille du couple : Clara, la pauvre petite avait perdu sa mère et voilà qu’elle risquait de grandir sans son père qui était dès le début du procès placé en détention. 

C’est sur Clara que des dissensions sont apparues au sein de cette famille si soudée en apparence. Fallait-il la couper totalement de la famille de son père et en faire la plus lourde de toutes les victimes de ce drame ou fallait-il composer et faire en sorte que malgré tout elle puisse connaître son père, sa famille et son histoire ?

Au bout de quelques mois, l’apparent consensus se fissurait pour laisser apparaître trois postures clivées. Irène, la maman de Sandrine voulait écraser Antoine à tout prix et tout ce qui s’apparentait à lui de près ou de loin. Clara ne devait pas s’approcher du monstre. 

Marc était perdu mais s’inquiétait tout de même d’un risque de placement de la petite fille. 

Florence, la cadette, s’était complètement désolidarisé de sa mère et de son frère. Seul lui importait le bien être de l’enfant et elle avait même décidé de reprendre des liens avec Antoine et sa famille. 

Il n’y a pas de pensée unique dans le rang des victimes. 

 

Je ne le dirai jamais assez, l’avocat ne doit pas céder à la facilité de croire aussi que c’est un groupe constitué. Prendre en compte la psychologie des individus et ce qui les meut.

Vengeance, réparation, pardon, avoir le même sang ne condamne pas à avoir le même coeur.

 

Philippe Assor