Avec le temps va, avec le temps va tout s’en va…Mais pas les douloureux souvenirs
Ceux-là ne s’effacent jamais. Et loin de les reléguer, la mémoire au contraire les convoque si souvent qu’ils deviennent indélébiles.
L’histoire de François est aussi douloureuse que troublante. Il me consulte à l’âge de 37 ans. Sa mère vient de mourir et il a besoin de se libérer d’un poids terrible.
Il me confie qu’à 9 ans, dans son petit village natal de la Sarthe, il a été victime d’actes de pédophilie. Il ne l’a jamais dit à personne. Son récit me glace.
Ce jour-là il rentrait de l’école mais il avait oublié sa clé. Il avait eu l’idée de se rendre dans la boulangerie voisine. La boulangère connaissait bien sa famille et il lui était déjà arrivé d’attendre là-bas que sa mère rentre du travail. Lorsqu’elle l’aperçoit, la commerçante téléphone immédiatement à sa maman. Celle-ci a du retard et lui demande de l’attendre dans la boulangerie. Ce sera derrière le fournil dans une pièce de repos qu’il patientera.
Le mari de la boulangère est absent mais le couple a un nouvel apprenti qui a pris sa pause. Malheureusement le jeune homme s’avère peu recommandable. Il va mettre à profit la situation pour abuser sexuellement du petit garçon qui ne comprend pas ce qui lui arrive. Lorsque sa mère le récupère, François est muré dans son mutisme. Souffrant dans sa chair, il ne laisse rien transparaître. Sa mère est un peu surprise mais elle se laisse convaincre par les explications du petit garçon qui invoque une dispute avec un des ses camarades.
François ne parlera jamais de ce qu’il lui est arrivé cet après-midi là. Au départ par peur des représailles de l’apprenti de la boulangère qui l’avait menacé de mort au cas où il révélerait ses crimes. Puis par honte aussi. La honte malheureusement classique de la victime qui s’en veut de n’avoir rien fait, qui s’en veut de n’avoir pas crié et finalement d’avoir participé à la commission de l’acte…Et enfin à mesure que le temps passait et qu’il prenait conscience de la gravité des faits, par peur surtout que sa maman qui avait tardé à venir le chercher ne culpabilise et ne souffre encore plus que lui de ce terrible événement.
C’est pourquoi François venait me trouver 30 ans plus tard. Sa mère venait de décéder. Il n’y aurait donc pas de victimes innocentes collatérales à ses révélations. Il était désormais prêt à faire éclater la vérité et à demander justice.
En ce qui concerne les crimes sexuels, le délai de prescription est porté à 30 ans à partir de la majorité de la victime. Il était donc encore possible de porter l’affaire devant les tribunaux.
Avec l’aide de la boulangère, les policiers chargés de l’enquête sont parvenus à retrouver son ancien apprenti, un dénommé William qui avait fait du chemin. Il dirigeait sa propre boulangerie dans le sud de la France. Désormais marié et père de deux enfants, il était apprécié du voisinage, de ses clients et occupait même une place de choix au sein du conseil municipal.
Mais l’enquête a peu à peu écorné l’image de ce voisin idéal. Il y avait déjà eu une première affaire assez similaire il y a 10 ans qui s’était soldée par un non-lieu pour défaut de preuves car la partie civile était mal organisée et friable.
Mais les récentes révélations de François ont déclenché une petite tornade dans la région. L’affaire s’ébruitant, les langues se sont déliées et deux autres témoignages sont venus s’ajouter à celui de mon client.
Dans les récits des victimes, des similitudes sur les pratiques, le modus operandi et les menaces de William ne laissaient que peu de place au doute. Face à cette avalanche d’accusations et surtout aux détails concordants donnés par les victimes, William a été condamné. Il n’a jamais avoué. Ce qui est très fréquent chez les pédophiles, il faut bien le dire.
Avec le temps donc, les souffrances de François ne s’étaient pas effacées. Il les avait enfouies en lui pour protéger sa mère jusqu’au bout et s’était libéré à sa mort. La réparation a été salutaire.
Mais ne nous méprenons pas. Du fait de la déperdition des éléments de preuve à charge. La plainte de François aurait pu subir le même sort que celle du plaignant précédent.
Car avec le temps aussi, souvent la preuve s’évanouit.