En tant qu’avocats spécialistes en dommage corporel, nous nous battons avec mes confrères depuis longtemps pour que les indemnisations des victimes soient individualisées et que soit maintenu le principe de la réparation intégrale et non forfaitaire.

Pour parler franchement le système de la barémisation est une lecture froide et inadaptée contre laquelle nous œuvrons en lui donnant un relief, une couleur : celle de l’humain. 

Il faut bien comprendre que deux victimes ayant subi les mêmes faits ne les vivront pas de la même manière et n’auront pas les mêmes séquelles. 

Rappelons tout d’abord que tout notre système pénal oriente les projecteurs sur les auteurs d’infractions et de crimes et leur défense. Les victimes ont juste des droits, encore heureux !  

J’ai assisté il y a trois ans ans Mathias et Gianni, deux employés de bijouterie victimes d’un braquage qui avait mal tourné. Mathias avait été molesté mais avait été relâché rapidement par les malfaiteurs. Gianni quant à lui, avait été retenu en otage jusqu’à l’intervention des forces de police et avait été atteint de deux balles dans le thorax. Il en avait réchappé miraculeusement. 

Familier de ce type de dossiers, je sais que la bataille se situe au niveau des expertises et qu’il faut préparer minutieusement les pièces nécessaires en se faisant aider par des techniciens spécialistes.  

Mais il faut prendre garde de ne pas s’en tenir qu’aux évidences. Mon travail est de mettre en lumière tout ce qu’une victime a perdu, qu’elle ne retrouvera plus même lorsque cela ne saute pas aux yeux. Dans le cas de  Mathias, qui avait été libéré le premier son préjudice semblait en apparence largement moins lourd que celui de son collègue touché par balles.  Et pourtant…Il était ressorti de cet assaut  traumatisé, incapable de reprendre une vie normale, sombrant dans la dépression et l’alcool. Là où, a contrario Gianni s’accrochait davantage et « tenait le coup » malgré une atteinte physique autrement plus important et de fait avait repris une activité professionnelle avant son collègue.

Nous avons tous nos vécus, nos traumatismes, nos constructions. Les événements que nous vivons et subissons n’arrivent pas sur des corps et des esprits vierges. Nous avons tous une “capacité d’absorption” des événements qui opère à des degrés différents. 

Cela justifie derechef à être vent debout contre la tendance institutionnelle actuelle en faveur de la barémisation par pure facilité car elle ne tient pas compte de la réalité des séquelles des traumatismes subis et gomme plus généralement nos différences. On cherche bien à comprendre à grand prix les ressorts personnels de l’individu lorsqu’il s’agit de juger les auteurs non ? Et c’est bien normal ! Je milite simplement pour que cette individualisation profite aussi aux victimes…

L’atteinte psychique du premier s’est avérée plus lourde que l’atteinte physique du second. 

Dans plusieurs pays d’Europe ces subtilités ne sont hélas plus possibles mais  notre Droit français nous permet encore d’individualiser les indemnisations…mais pour combien de temps encore… Espérons que les victimes ne deviennent pas aussi victimes de leur réparation.