Si le silence est d’or, croyez-moi, la parole, en justice, est de diamant !
Je déplore que nos institutions judiciaires modernes aient retiré à la parole la si belle place qu’elles lui avaient donné…et qui ne devient plus qu’un lointain souvenir.
Je repense à Karine et à son divorce ô combien houleux. La question de l’argent était particulièrement au coeur de son dossier. Il faut dire que Charles, son mari, entretenait de manière dissimulée un commerce parallèle d’instruments de musique de collection très lucratif. Le bougre n’acceptait que les espèces qu’il ne déclarait évidemment pas. Ces rentrées régulières d’argent occultes doublaient allègrement son salaire.
Lors des négociations confidentielles entre avocats sur la prestation compensatoire pour ma cliente, le débat s’est évidemment posé là. Ne pas tenir compte de ces rentrées d’argent était exclu pour nous.
Mais Charles d’un naturel méticuleux avait trop bien accordé ses violons ! le diable tenait un livre comptable de l’ensemble des sommes en liquide encaissées depuis plusieurs années. L’objet du délit était tombé fort opportunément dans les mains de Karine. C’était trop beau, voire inespéré pour un avocat comme moi. Charles ne voulait rien entendre croyant à un coup de bluff de notre part. C’est in extremis et non sans scrupules que nous avons décidé d’abattre la carte maîtresse à la veille de la clôture. A l’audience des plaidoiries, nous avons frôlé le drame. Charles fulminait, l’atmosphère était électrique et Karine n’en menait pas large. J’ai cru un instant à l’imminence d’un pugilat.
Il y avait trop de rancoeur, trop de non-dits dans cette affaire. Lorsqu’on ne communique pas, y compris entre avocats, tout peut exploser. Au sortir de l’audience, Charles a tenté de venir au contact avec moi. J’ai compris entre deux invectives que jamais personne ne lui avait donné la parole et j’ai entrevu une ouverture.
Alors que l’affaire était mise en délibéré, j’ai suggéré une réouverture des débats. Nous avons organisé une réunion à quatre et assez vite un espace de discussion s’est créé. Paradoxalement l’argent n’était plus au coeur de l’affaire. Il y avait une dimension “règlement de compte personnelle”, pas mal de sacs à vider… Les deux parties ont pu se libérer dans un espace sécurisé et propice au dialogue. La guérilla du départ a laissé place à un accord, certes à couteaux tirés, mais un accord quand même.
En sortant de la nouvelle audience des plaidoiries où nous avons fait homologuer l’accord, le juge, qui avait manifestement un goût pour les lettres classiques m’a confié, un sourire aux lèvres : “Vous aviez raison Maître. Comme le disait le dramaturge Eschyle, “La parole apaise la colère””.
Au delà de l’issue positive de cette affaire en particulier, c’est une démonstration parlante, sans mauvais jeux de mots, de l’intérêt du recours au méthodes collaboratives que j’appelle de mes voeux. Puisse-t-il, ce cher Eschyle, faire des émules !