Désordre dans les rangs des victimes 

 

Je le répète dès que j’en ai l’occasion : tous les cas sont différents et je déteste par dessus tout l’indifférenciation et la binarisation qui noient les particularismes et les individualités dans une norme immuable que l’on nous somme de prendre pour acquise. 

 

Le statut de victimes et de leurs familles est symptomatique. Disons les choses franchement : il n’y a pas de groupe constitué de famille de victimes. Pour la simple et bonne raison que chaque victime a ses particularismes et sa manière de vivre et d’évoluer par rapport au drame qui la touche. Qu’elle soit victime directe ou indirecte. 

 

Je suis l’avocat d’Irène, mère dévastée par la perte de sa fille Sandrine tombée sous les coups d’Antoine son compagnon, alcoolique et violent. 

Sans rentrer dans les détails de cette affaire tragique, je vais ici tâcher de vous démontrer toute la complexité des relations au sein de la famille de Sandrine. 

Sandrine avait une soeur et un frère, tout deux plus âgés. Marc et Florence. 

Au départ on peut dire que tout le monde parlait d’une seule voix. La peine irréparable, la colère, les questions sans réponses…la guerre avec Antoine, était déclarée et la douleur fédératrice. 

Et puis a surgi la question de l’avenir de l’unique fille du couple : Clara, la pauvre petite avait perdu sa mère et voilà qu’elle risquait de grandir sans son père qui était dès le début du procès placé en détention. 

C’est sur Clara que des dissensions sont apparues au sein de cette famille si soudée en apparence. Fallait-il la couper totalement de la famille de son père et en faire la plus lourde de toutes les victimes de ce drame ou fallait-il composer et faire en sorte que malgré tout elle puisse connaître son père, sa famille et son histoire ?

Au bout de quelques mois, l’apparent consensus se fissurait pour laisser apparaître trois postures clivées. Irène, la maman de Sandrine voulait écraser Antoine à tout prix et tout ce qui s’apparentait à lui de près ou de loin. Clara ne devait pas s’approcher du monstre. 

Marc était perdu mais s’inquiétait tout de même d’un risque de placement de la petite fille. 

Florence, la cadette, s’était complètement désolidarisé de sa mère et de son frère. Seul lui importait le bien être de l’enfant et elle avait même décidé de reprendre des liens avec Antoine et sa famille. 

Il n’y a pas de pensée unique dans le rang des victimes. 

 

Je ne le dirai jamais assez, l’avocat ne doit pas céder à la facilité de croire aussi que c’est un groupe constitué. Prendre en compte la psychologie des individus et ce qui les meut.

Vengeance, réparation, pardon, avoir le même sang ne condamne pas à avoir le même coeur.

 

Philippe Assor