Le métier d’avocat, est pour beaucoup synonyme de contentieux, de procédures voire de guerres parfois. Mais cette image est erronée. C’est oublier le rôle crucial d’intermédiation d’un avocat dans la gestion des crises car comme je le répète à beaucoup de mes clients, être en conflit, c’est ne plus être soi-même !
Je repense encore à Jeremy débarquant furieux dans mon cabinet. Il est particulièrement remonté contre son ex-femme. “Je veux la faire payer” aboie-t-il. Il semble possédé.
Jeremy a 50 ans. Sa société d’informatique se porte à merveille, son mariage beaucoup moins…
Il a eu deux fils avec Carole, lesquels vont se retrouver au coeur de la tourmente.
Jeremy a trompé Carole. Elle a demandé le divorce car elle n’a pas supporté cette humiliation. Mais en fait Carole veut faire mal à Jeremy par tous les moyens. Et elle n’est pas loin d’y parvenir. Tout est entremêlé, le financier, l’affectif, le patrimonial, la garde des enfants. Tout ! Il est une certitude : il n’y aura pas de vainqueurs ; il y aura deux perdants.
Au fur et à mesure du dossier, je déplore les exagérations de chacune des parties, l’engrenage des vicissitudes procédurales qui force à la surenchère. Les faux témoignages succèdent aux calomnies et aux affirmations toujours plus sordides. Jeremy aussi n’y a pas été de main morte mais Carole n’a plus de limites. En pleine bataille judiciaire, il se retrouvera entendu par la Brigade Financière sur la base d’une dénonciation anonyme l’accusant d’évasion fiscale et de blanchiment. Une lettre anonyme dont les détails ne laissent à Jeremy que peu de doutes sur l’identité du corbeau…
Dans cette affaire le pire est sans doute que Carole sait combien Jeremy est un bon père pour ses enfants. Mais, aveuglée par la haine, elle veut aussi le priver de leur présence.
Ma stratégie judiciaire consiste alors à mettre en avant les faits. Mais il me faut composer avec un Jeremy qui emporté par la spirale du conflit n’a plus aucune propension à la négociation. Passé un certain stade, c’est l’ego qui parle, voire qui hurle…
C’est précisément une des qualités de l’avocat que celle de se détacher émotionnellement d’une affaire. Il est normal d’être en empathie avec ses clients. On peut être touchés, tristes ou heureux pour eux. Mais un avocat ne doit jamais faire entrer son propre ego dans l’équation.
Le conflit en définitive n’est jamais qu’une mauvaise symphonie où chacun finit par s’enfermer dans sa partition jusqu’à la cacophonie.
Fort heureusement, ce terrible constat, d’une perte de temps, d’énergie mais aussi de beaucoup d’argent, a conduit très favorablement nos lois à évoluer vers des modes alternatifs de règlement des différends, dits MARD.
Plus aucune procédure judiciaire ne peut être engagée sans que ne soient préalablement menées des tentatives de règlements amiables.
Mais ne nous leurrons pas : oeuvrer à la construction d’un accord demande des efforts très importants tant pour les parties que pour leurs avocats.
Et croyez-en mon expérience, cela en vaut largement la peine car le conflit est un engrenage dévastateur où l’on peut tout perdre et surtout se perdre.
Philippe Assor
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