Je le dis très souvent : quand on est avocat, il faut décoder l’humain derrière ses
demandes. Les parcours, les réussites mais aussi les échecs sont autant d’éléments à
prendre en considération dans la compréhension d’une affaire.

Il n’y a pas de meilleur exemple que celui de Simon. Son chemin était douloureux ;
marié et père de deux garçons, il gagnait très bien sa vie dans le secteur de l’édition
jusqu’au milieu des années 2000. Et puis le secteur a accusé le coup et il a été mis à la
porte de manière particulièrement subite.

Simon avait pensé retrouver un emploi avec un salaire équivalent et avait continué à
mener quelques temps un train de vie dépensier, lui qui affectionnait les bonnes tables,
les costumes de marque et les grands voyages.

Mais le temps passant, on ne lui proposait plus que des postes subalternes et
beaucoup moins bien payés. Simon a dû quitter sa rive gauche pour un petit
appartement dans une banlieue paumée. En parallèle il n’a eu d’autre choix que
d’accepter des postes toujours plus dégradants pour lui.

Son divorce par consentement mutuel qui était intervenu du temps de sa gloire d’éditeur
prévoyait une résidence alternée pour ses deux fils. Mais son ex femme qui était dans
une situation financière autrement plus florissante a décidé d’engager un procès pour
récupérer la garde totale des enfants. A mesure que la procédure suivait son cours, la
situation de mon client devenait de plus en plus critique.

Madame a alors engagé une enragée du barreau de la famille comme on en croise
parfois.
j’ai reçu un homme brisé, humilié qui cherchait à travers ses enfants à maintenir les
apparences. Je l’ai d’abord raisonné. Ses garçons allaient entrer dans une période de
leurs vies qui allait nécessiter un investissement financier important et un cadre stable.
Il fallait se montrer raisonnable. Simon ne tenait plus la route.

Mais je me suis fais un devoir de plaider son histoire, son vécu et d’une certaine façon,
de le sortir grandi de cette situation.

J’ai plaidé en humanité. Une plaidoirie sans effets de manche mais où j’ai mis mes
tripes pour dire l’indicible. Depuis trois ans, cet homme n’avait eu que des coups durs,
des chutes, des procès, des huissiers, des déceptions, des humiliations. Alors qu’il était
à terre, j’ai fait son éloge. A ce stade, bien plus que le résultat qui était sans grande
surprise, c’était sa dignité qui m’importait.

Au sortir de l’audience, Simon était en larmes. Il m’a dit : “Jamais personne n’a parlé
comme ça de moi, y compris quand j’étais au sommet de ma gloire”.

Etre avocat pour moi, ce n’est pas que connaître le Droit. C’est aussi et surtout
magnifier les hommes et les femmes que je défends.

Philippe Assor